Barbie peut-elle être féministe ?
- Bettina Zourli
- Jul 18, 2023
- 4 min read
En 1959, l'entreprise Mattel crée ce qui deviendra vite une icône : Barbie. Une petite poupée blonde, aux dimensions irréalistes, qui animera l'enfance de millions de petites filles à travers le monde. Alors que le film Barbie, interprété par la tout aussi iconique Margot Robbie sort en salles en France, les débats s'amorcent sur l'ancrage féministe de ce jouet fait de plastique. Barbie peut-elle être féministe ?
Barbie, un idéal inatteignable
La poupée Barbie originelle est inspirée d'une poupée de marque allemande, Bild Lilli. Elle est blonde, a une poitrine opulente, une bouche maquillée d'un rouge à lèvres, c'est une femme adulte à la silhouette élancée, mais qui n'a rien de réaliste. Bild Lilli est une poupée mannequin qui fait rêver. Mais est-ce dont les petites filles ont besoin dans leur enfance ?
Jusque dans les années 1970, Barbie est une poupée tout ce qu'il y a de plus classique : on peut changer ses vêtements, qui sont déclinés en de nombreux kits additionnels, et inventer des histoires avec elle, mais l'univers Barbie n'est pas le plus progressiste.
En termes de corpulence, Barbie est un corps qui n'a pas une once d'ancrage dans la réalité : haute de 29 centimètres, son tour de taille est plus petit que sa tête, ses jambes anormalement longues, à tel point que si Barbie était une humaine, elle ne tiendrait tout simplement pas debout longtemps. Alors bien sûr, on ne demande pas aux jouets d'être nécessairement ancrés dans la réalité, mais qui n'a pas passé des heures à retranscrire des scènes de la vie réelle ou fantasmée en jouant aux Barbie ? Vendue à plus d'un milliard d'exemplaires au moment de son soixantième anniversaire en 2019, le corps de Barbie a été, même de manière inconsciente, perçu comme une norme pour bon nombre de petites filles.
Barbie présidente de la République ?
Mattel, bien loin d'être ignorant, adapte évidemment son produit aux idéaux et progrès du moment, et c'est donc dès la fin des années 60 que Barbie s'émancipe. Des déclinaisons nombreuses sont inventées, et Barbie découvre alors des dizaines de métiers différents.
Christie, l'amie noire de Barbie, arrive également sur le marché en ce début de décennie 70, comme un témoin du début de la diversification d'un jouet bien trop lisse et interchangeable.
La décennie 1970 est intimement liée à des avancées majeures pour les droits des femmes : pilule contraceptive qui se diffuse largement, accès à l'IVG dans de nombreux pays occidentaux, diversification des carrières, compte en banque libre, "libération sexuelle", etc ... Ainsi, dans les années 1980, le slogan des publicités Barbie évolue pour un « We, Girls, can do anything. Right, Barbie? » (Nous, les filles, on peut faire ce qu'on veut n'est-ce pas?).
Ainsi, après la Barbie astronaute dès 1965, Barbie devient chirurgienne en 1973, et en 2000, c'est l'apothéose : Barbie devient candidate à la présidentielle ! Une belle évolution qui a certainement permis d'ouvrir des horizons à des millions d'enfants.

Barbie, féministe ?
Les années 2010 marquent un nouveau tournant pour la représentation et l'image de Barbie : on voit apparaître pour la première fois un petit garçon dans une publicité dédiée la poupée en 2015 seulement, et en 2016, Mattel commence à diversifier les corps de Barbie, proposant des modèles curvy, tall et petite. Mattel a même joué sur l'émancipation de l'image du couple en proposant une histoire d'amour qui se termine par un divorce entre Ken et Barbie.
En 2018, la gamme "Femmes d'exception" est lancée, avec des poupées à l'effigie de Frida Kahlo, Shonda Rhimes, Celia Cruz, Maya Angelou, mais aussi des femmes moins illustres travaillant dans des domaines scientifiques ou traditionnellement plus "masculins".

C'est évidemment une excellente nouvelle, même si on sent le féminisme washing à plein nez. Pour autant, on peut continuer de regretter le maquillage à outrance de Barbie, son corps clairement sexualisé, et de trouver un tantinet exagéré quand un média comme BFMTV titre un article "Barbie indémodable icône féministe".
Galvauder le mot "féministe" à toutes les sauces enlève la substance politique et subversive du terme : avoir une Barbie femme d'affaires ou présidente est-il suffisant à la qualifier de féministe ? Ne reste-t-on pas dans une définition libérale et capitaliste du féminisme ? Car n'oublions pas que 75% des jouets Mattel sont fabriqués en Chine, sont en matière plastique, et représentent une manne financière difficilement compatibles avec des idéaux féministes (oui, le féminisme est un projet de société orienté vers la préservation du vivant et la dignité humaine, pas uniquement l'égalité homme-femme).
Côté représentation, on peut aussi s'agacer des traits caucasiens des poupées : mêmes les Barbie noires gardent des "traits blancs" et montrent que la diversité semble rester sous caution. On peut aussi revenir sur la poitrine de Barbie, qui, même si les physiques ont un pu évolué avec les nouvelles collections, reste très proéminente et ne correspond absolument pas à la diversité des corps réels. Barbie, elle correspond en réalité toujours à l'idéal masculin de son époque, même si son corps change.
N'oublions pas enfin que la raison principale pour laquelle Mattel réoriente ses produits n'est autre que mercantile : en 2022, la marque accusait une baisse de 22% lors du dernier trimestre, par rapport à l'année précédente. Une baisse de chiffre d'affaires qui n'a rien d'anecdotique, la marque étant remplacée depuis des années par d'autres jeux, notamment vidéo, surtout depuis début 2010.
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